MANIFESTE DES ILE-LETTRÉES OU MANIFESTE DES DISSIDENTS INTELLECTUELS RÉUNIONNAIS
Notre art, notre pensée ne suivent pas les courbes du marché ni la politique culturelle. L’économie et la politique ne sont pas des annexes de notre projet artistique, philosophique et littéraire : « Deux mondes existent à la Réunion, dans le cadre du système colonial français et du capital mondialisé: celui des perdants et celui des gagnants. »(Préface Le Dernier Malbar, L’Harmattan, Paris, 2014).
Sur le plan culturel ce Manifeste est celui des Intellectuels Résistants, nous nommons Philosophie Marron la dialectique du Maître et de l’Esclave qui a lieu dans la lutte pour la reconnaissance. Derrière la figure mythique du Maron, il y celle du Paria, dissident de la pensée unique tels les indépendantistes de gauche à la Réunion qu’il est important de réhabiliter si l’on souhaite instituer des habitudes de démocratie non pas représentative mais alternative et réelle. La théorie ancrée dans le monde réel est un outil de changement concret de la situation sociale. Théorie, arts et pratique sont indissociables : les voix des opprimés, celles des masses perdantes du système capitaliste et colonial peuvent s’y exprimer. Pourtant l’invisibilisation des intellectuels est le lot de toutes les colonisations, le colonialisme est une pensée totalitaire. L’idéologie dominante, l’invisibilité des intellectuels dissidents masquent l’injustice coloniale. La Philosophie Marron est critique : le système colonial n’est pas un spectre qui viendrait nous hanter, c’est bien le terrain réel de notre errance économique et politique. Cette philosophie si elle est nécessaire n’est pas suffisante, seule notre auto-organisation peut mener au bouleversement des conditions sociales actuelles. Elle affirme la puissance réunionnaise contre tous les dénis de notre personnalité, le mépris social à l’encontre des pauvres, la non-reconnaissance envers les subalternes.
Nous ne pouvons cependant nous contenter de revendiquer une révolution des idées et encore moins par les urnes sans lutter de tout notre être, sans désirer que les bases, la structure qui les supportent soient transformés par l’action commune.
Décoloniser le langage c’est œuvrer dans le sens d’une littérature de langue française et en langue créole propre à désamorcer le colonialisme : « Le poète réunionnais porte le langage en drapeau, celui de la libération des liens destructeurs.» (Préface de Poésie de combats). Or, l’ illettrisme est institutionnalisée par le système colonial anti-créole et les inégalités sociales car c’est la masse des créolophones traitée en minorité à insérer sur les bancs de l’Ecole qui est placée en périphérie . L’intellectuel en résistance, dissident, critique c’est donc celui qui affirme avec joie « J’écris pour les analphabètes, les illettrés » ( Préface, L’être Réunionnais, un déni de puissance ), non pas « à la place de » mais parce qu’ils ne le feront pas.
Loin de croire que ce monde colonial inédit dans lequel nous évoluons puissent se résumer dans les binarités Métropole/colonie ou encore colonisé/ colonisateur, nous ne pouvons cependant renoncer à mener des études critiques à son égard. Nous ne sommes pas comme certains partisans du courant post-colonial, des chasseurs de fantômes, nous ne sommes pas à la recherche des esclavagistes d’hier. Cependant, nous nous identifions aux opprimés et aux résistants d’hier et d’aujourd’hui car nos valeurs sont celle de l’émancipation universelle. Nous combattons avec toute culture de résistance, qu’elle soit française ou non, nous participons tout autant de la culture de Genet ou de Foucault, qu’à celle de Cabral ou Fanon, d’Angela Davis, ou encore de l’artiste Toto Bissainthe.
L’Histoire de la Réunion trouve son sens dans le projet d’avenir que nous lui dessinons et non dans un passé.
En 2010, un Service Régional de l'Archéologie (SAR) a bien enfin été créé à la Réunion puisque c'est la seule Région française qui n'en avait pas. Cependant de nombreux sites qui auraient apportés de nombreuses connaissances archéologiques ont d'ores et déjà été recouverts par des constructions, tels le cimetière qui se trouvait à l'entrée Ouest de Saint-Denis, là où se trouve aujourd'hui le Régiment de Service Militaire Adapté. De plus, des fouilles préventives devraient impérativement être faites avant toute construction publique afin de préserver le patrimoine humain qui se trouve dans les sols. Comment peut-on oser faire des restaurants, des parkings et des commerces là où il y eut des cimetières comme celui dit de la peste dans le quartier de la Jamaïque à Saint-Denis, des camps d'esclaves puis d'affranchis, des lieux de savoirs tels l'Ecole des Noirs en centre ville de Saint-André, des lieux de vies et de souffrances telle la prison Juliette Dodu au cœur du chef lieu ou encore l'APECA à la Plaine des Palmistes ? Ailleurs, la politique est de plus en plus engagée pour la préservation, à la réhabilitation et à la transmission de la mémoire. Des prisons sont valorisées comme le Studentenkarzer, ancienne geôle pour étudiants devenue musée en Allemagne, tout comme la prison de Robben Island où fut incarcéré Mandela. Nous devons mettre en valeur les quelques lieux de mémoire qui nous restent. Certains disparaissent petit à petit, avalés par la Nature, tels les ruines du pénitencier de l'Ilet à Guillaume ou encore l'émouvant second Lazaret de la Grande Chaloupe.
La réhabilitation des lieux de mémoire et la connaissance de l'Histoire Intégrale sont primordiales, ce sont les soubassements indispensables que nous devons installer pour créer une société épanouie, confiante et ouverte.
Dans cette même optique, de connaissance et de reconnaissance de soi, des outils pour penser le monde en tant que réunionnais-es doivent rendus accessible à tous, et à tous les niveaux scolaires. Dans les deux universités de l'île, aucune ne propose de filière de sociologie, de philosophie, de psychologie. Certes, une filière anthropologie existe, mais ne démarre qu'à niveau bac+3 et est fortement tourné vers l'extérieur (Madagascar, Inde) alors que nous sommes à la Réunion ! La filière créole ne bénéficie d'aucune publicité et ne démarre quand à à elle qu'en licence 3, voire en master selon les années. De plus, il semble qu'elle soit de plus en plus orientée vers les littératures coloniales et post-coloniales francophones. Elle ne correspond donc pas (plus) à ce que l'on appellerait véritablement une filière Créole. Filière censée, au vu de son intitulé, apportées aux étudiants des connaissances en Littérature, Langue (comme à Madagascar, l'on étudit le malgache, sa grammaire, sa syntaxe ou encore sa conjugaison), l'Histoire, la Géographie, la civilisation etc. du monde créole, comme une filière Espagnol initie ses inscrits au monde hispanique de manière globale.
Cependant, nous ne pensons pas qu'il suffise d'importer ses filières de sciences humaines d'une université française quelconque. Des sciences humaines créees à travers un prisme créole réunionnais sont à développer. Elles s'inspireront de méthodologie existantes mais seront profondément ancrées dans l'île et dans l'Océan Indien. Pour comprendre une société, il est nécessaire qu'il y ait des chercheurs faisant partie intégrante de cette société, qui en maîtrise les subtilités de la langue, qui comprennent et ressentent les battements du cœur de son peuple et qui se servent de leurs connaissances et de leurs méthodologie scientifique pour poser des diagnostics et les discuter. Eux seuls sont à même d' extraire cette huile essentielle.
Or, nous pouvons constater de visu, ou avec statistiques de l'INSEE que la grande majorité des chercheurs et des cadres en tout genre ne sont pas créoles réunionnais et sont souvent de passage sur l'île. De fait, ce monopole et cet homogénéité ne bénéficient pas à la population créole réunionnaise et à la société : cela ne leur permet ni appropriation ni responsabilisation. L'être créole réunionnais est abimé, diminué dans la société assimilationniste et violente qui se cache derrière le phénomène vague et déresponsabilisant de la mondialisation alors qu'en premier lieu il s'agit de colonialité du pouvoir global et de mutations du pouvoir colonial local.
Décoloniser la culture c’est aussi penser un féminisme créole propre à transformer les rapports sociaux de domination et d’exploitation qui trouve ses valeurs non pas dans les institutions mais dans les hommes et les femmes réunionnais. La force que nous voulons déployer n’est pas cette volonté de puissance virile qui accompagne le capitalisme dans son agressivité : militarisation, brutalités policières, « rabattement de la sexualité sur la violence » (Marcuse ; 1974), destruction puis préservation de l’environnement. Inventer une nouvelle culture c’est aussi inventer un nouveau rapport à la terre. Or, notre poésie ne peut chanter la Nature sans penser à la production agricole et à sa maîtrise par les réunionnais qui doit trouver comme cadre l’écologie insulaire indispensable à notre devenir.
C’est aussi panser et agir avec nos errants multiples, bruyants ou silencieux dans leur
mélancolie et aux prises avec leurs origines. Nos fous-symptomes des discours du créolisme -
avec ces arguments fallacieux qui nous salissent en objectivant notre incapacité à faire une
société réunionnaise humanisant chaque un et chaque une- urbi et orbi, dans la cité et dans le
monde.
C’est en ce sens que nous œuvrons à l’édification d’études réunionnaises critiques ainsi qu’à l’émergence littéraire et artistique suscitant la fiction comme espace politique et portant l’utopie comme projet d’émancipation, visant par là-même à traduire l’universel sur notre terre, notre ile-pays.
Comité Ravage
Sur le plan culturel ce Manifeste est celui des Intellectuels Résistants, nous nommons Philosophie Marron la dialectique du Maître et de l’Esclave qui a lieu dans la lutte pour la reconnaissance. Derrière la figure mythique du Maron, il y celle du Paria, dissident de la pensée unique tels les indépendantistes de gauche à la Réunion qu’il est important de réhabiliter si l’on souhaite instituer des habitudes de démocratie non pas représentative mais alternative et réelle. La théorie ancrée dans le monde réel est un outil de changement concret de la situation sociale. Théorie, arts et pratique sont indissociables : les voix des opprimés, celles des masses perdantes du système capitaliste et colonial peuvent s’y exprimer. Pourtant l’invisibilisation des intellectuels est le lot de toutes les colonisations, le colonialisme est une pensée totalitaire. L’idéologie dominante, l’invisibilité des intellectuels dissidents masquent l’injustice coloniale. La Philosophie Marron est critique : le système colonial n’est pas un spectre qui viendrait nous hanter, c’est bien le terrain réel de notre errance économique et politique. Cette philosophie si elle est nécessaire n’est pas suffisante, seule notre auto-organisation peut mener au bouleversement des conditions sociales actuelles. Elle affirme la puissance réunionnaise contre tous les dénis de notre personnalité, le mépris social à l’encontre des pauvres, la non-reconnaissance envers les subalternes.
Nous ne pouvons cependant nous contenter de revendiquer une révolution des idées et encore moins par les urnes sans lutter de tout notre être, sans désirer que les bases, la structure qui les supportent soient transformés par l’action commune.
Décoloniser le langage c’est œuvrer dans le sens d’une littérature de langue française et en langue créole propre à désamorcer le colonialisme : « Le poète réunionnais porte le langage en drapeau, celui de la libération des liens destructeurs.» (Préface de Poésie de combats). Or, l’ illettrisme est institutionnalisée par le système colonial anti-créole et les inégalités sociales car c’est la masse des créolophones traitée en minorité à insérer sur les bancs de l’Ecole qui est placée en périphérie . L’intellectuel en résistance, dissident, critique c’est donc celui qui affirme avec joie « J’écris pour les analphabètes, les illettrés » ( Préface, L’être Réunionnais, un déni de puissance ), non pas « à la place de » mais parce qu’ils ne le feront pas.
Loin de croire que ce monde colonial inédit dans lequel nous évoluons puissent se résumer dans les binarités Métropole/colonie ou encore colonisé/ colonisateur, nous ne pouvons cependant renoncer à mener des études critiques à son égard. Nous ne sommes pas comme certains partisans du courant post-colonial, des chasseurs de fantômes, nous ne sommes pas à la recherche des esclavagistes d’hier. Cependant, nous nous identifions aux opprimés et aux résistants d’hier et d’aujourd’hui car nos valeurs sont celle de l’émancipation universelle. Nous combattons avec toute culture de résistance, qu’elle soit française ou non, nous participons tout autant de la culture de Genet ou de Foucault, qu’à celle de Cabral ou Fanon, d’Angela Davis, ou encore de l’artiste Toto Bissainthe.
L’Histoire de la Réunion trouve son sens dans le projet d’avenir que nous lui dessinons et non dans un passé.
En 2010, un Service Régional de l'Archéologie (SAR) a bien enfin été créé à la Réunion puisque c'est la seule Région française qui n'en avait pas. Cependant de nombreux sites qui auraient apportés de nombreuses connaissances archéologiques ont d'ores et déjà été recouverts par des constructions, tels le cimetière qui se trouvait à l'entrée Ouest de Saint-Denis, là où se trouve aujourd'hui le Régiment de Service Militaire Adapté. De plus, des fouilles préventives devraient impérativement être faites avant toute construction publique afin de préserver le patrimoine humain qui se trouve dans les sols. Comment peut-on oser faire des restaurants, des parkings et des commerces là où il y eut des cimetières comme celui dit de la peste dans le quartier de la Jamaïque à Saint-Denis, des camps d'esclaves puis d'affranchis, des lieux de savoirs tels l'Ecole des Noirs en centre ville de Saint-André, des lieux de vies et de souffrances telle la prison Juliette Dodu au cœur du chef lieu ou encore l'APECA à la Plaine des Palmistes ? Ailleurs, la politique est de plus en plus engagée pour la préservation, à la réhabilitation et à la transmission de la mémoire. Des prisons sont valorisées comme le Studentenkarzer, ancienne geôle pour étudiants devenue musée en Allemagne, tout comme la prison de Robben Island où fut incarcéré Mandela. Nous devons mettre en valeur les quelques lieux de mémoire qui nous restent. Certains disparaissent petit à petit, avalés par la Nature, tels les ruines du pénitencier de l'Ilet à Guillaume ou encore l'émouvant second Lazaret de la Grande Chaloupe.
La réhabilitation des lieux de mémoire et la connaissance de l'Histoire Intégrale sont primordiales, ce sont les soubassements indispensables que nous devons installer pour créer une société épanouie, confiante et ouverte.
Dans cette même optique, de connaissance et de reconnaissance de soi, des outils pour penser le monde en tant que réunionnais-es doivent rendus accessible à tous, et à tous les niveaux scolaires. Dans les deux universités de l'île, aucune ne propose de filière de sociologie, de philosophie, de psychologie. Certes, une filière anthropologie existe, mais ne démarre qu'à niveau bac+3 et est fortement tourné vers l'extérieur (Madagascar, Inde) alors que nous sommes à la Réunion ! La filière créole ne bénéficie d'aucune publicité et ne démarre quand à à elle qu'en licence 3, voire en master selon les années. De plus, il semble qu'elle soit de plus en plus orientée vers les littératures coloniales et post-coloniales francophones. Elle ne correspond donc pas (plus) à ce que l'on appellerait véritablement une filière Créole. Filière censée, au vu de son intitulé, apportées aux étudiants des connaissances en Littérature, Langue (comme à Madagascar, l'on étudit le malgache, sa grammaire, sa syntaxe ou encore sa conjugaison), l'Histoire, la Géographie, la civilisation etc. du monde créole, comme une filière Espagnol initie ses inscrits au monde hispanique de manière globale.
Cependant, nous ne pensons pas qu'il suffise d'importer ses filières de sciences humaines d'une université française quelconque. Des sciences humaines créees à travers un prisme créole réunionnais sont à développer. Elles s'inspireront de méthodologie existantes mais seront profondément ancrées dans l'île et dans l'Océan Indien. Pour comprendre une société, il est nécessaire qu'il y ait des chercheurs faisant partie intégrante de cette société, qui en maîtrise les subtilités de la langue, qui comprennent et ressentent les battements du cœur de son peuple et qui se servent de leurs connaissances et de leurs méthodologie scientifique pour poser des diagnostics et les discuter. Eux seuls sont à même d' extraire cette huile essentielle.
Or, nous pouvons constater de visu, ou avec statistiques de l'INSEE que la grande majorité des chercheurs et des cadres en tout genre ne sont pas créoles réunionnais et sont souvent de passage sur l'île. De fait, ce monopole et cet homogénéité ne bénéficient pas à la population créole réunionnaise et à la société : cela ne leur permet ni appropriation ni responsabilisation. L'être créole réunionnais est abimé, diminué dans la société assimilationniste et violente qui se cache derrière le phénomène vague et déresponsabilisant de la mondialisation alors qu'en premier lieu il s'agit de colonialité du pouvoir global et de mutations du pouvoir colonial local.
Décoloniser la culture c’est aussi penser un féminisme créole propre à transformer les rapports sociaux de domination et d’exploitation qui trouve ses valeurs non pas dans les institutions mais dans les hommes et les femmes réunionnais. La force que nous voulons déployer n’est pas cette volonté de puissance virile qui accompagne le capitalisme dans son agressivité : militarisation, brutalités policières, « rabattement de la sexualité sur la violence » (Marcuse ; 1974), destruction puis préservation de l’environnement. Inventer une nouvelle culture c’est aussi inventer un nouveau rapport à la terre. Or, notre poésie ne peut chanter la Nature sans penser à la production agricole et à sa maîtrise par les réunionnais qui doit trouver comme cadre l’écologie insulaire indispensable à notre devenir.
C’est aussi panser et agir avec nos errants multiples, bruyants ou silencieux dans leur
mélancolie et aux prises avec leurs origines. Nos fous-symptomes des discours du créolisme -
avec ces arguments fallacieux qui nous salissent en objectivant notre incapacité à faire une
société réunionnaise humanisant chaque un et chaque une- urbi et orbi, dans la cité et dans le
monde.
C’est en ce sens que nous œuvrons à l’édification d’études réunionnaises critiques ainsi qu’à l’émergence littéraire et artistique suscitant la fiction comme espace politique et portant l’utopie comme projet d’émancipation, visant par là-même à traduire l’universel sur notre terre, notre ile-pays.
Comité Ravage